lundi 3 avril 2017

Le déroulement du terrain : le travail au quotidien


                A notre arrivée sur le site d’étude, nous devons en priorité nous installer, ce qui signifie : déballer notre équipement et en faire l’inventaire, mais aussi monter et mettre en marche la station météorologique fixe qui enregistrera la météo en continue (température de l’air, température du sol, vitesse et direction du vent, humidité relative de l’air, luminosité, pluviométrie) pendant toute la durée de notre étude (ce qui nous permettra par la suite d’analyser les variations météorologiques et de les mettre en relation avec nos autres observations).
                Une fois l’équipement prêt, nous pouvons commencer l’étude populationnelle. Cela consiste à faire des relevés de transects (ou de quadrats). Un transect est une ligne imaginaire fixe dans l’espace (de largeur et de longueur constante ; et de points de départ et d’arrivée connus) qui sert de repère pour observer la présence ou non d’un sujet dans cette aire. De même, un quadrat est une surface carrée (de longueur et de largeur gales) au lieu d’être linéaire. Pour notre étude, nous avons divisé notre site en 3 sortes d’habitat, basé sur le type de substrat du sol : la plage (rocheuse), l’herbe ou les boues (wallows en anglais). Nous avons défini deux transects, l’un sur l’herbe et l’autre sur la plage, et un quadrat contenant des zones de boues. Tous les jours, nous parcourons ces 2 transects et ce quadrat et nous notons dans un carnet les données suivantes : la date, l’heure, le numéro du transect ou du quadrat parcouru (ou le type d’habitat), les paramètres météo (température de l’air, température du sol, vitesse et sens du vent, humidité relative de l’air, luminosité, présence de pluie) le nombre d’éléphants de mer présents dans la zone, s’ils sont en agrégation (collés les uns aux autres), l’avancement de leur mue (s’ils sont en début, milieu ou fin de mue, en fonction de la surface d’ancienne fourrure qui a commencé  à tomber) ; et nous prenons des photos digitales et infra-rouge (pour mesurer la température de surface, soit la température cutanée, des éléphants de mer) de chaque groupe d’individus. Au cours de ces relevés, nous gardons autant que possible une distance de sécurité (ou de confort) d’environ 10 m minimum entre nous et les éléphants de mer pour ne pas les effrayer ou les déranger pendant la mue.

Travail d’observation et de comptage sur transect (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Lucas Delalande, Henerges)

                En mettant ces données en relation et en observant leur évolution, nous pouvons connaître l’utilisation de l’habitat des éléphants de mer en fonction de leur stade de mue et de la météo (est-ce que les éléphants de mer sont davantage dans les boues, sur l’herbe ou sur la plage en début, milieu ou fin de mue ? Est-ce qu’ils sont davantage sur un type d’habitat quand il fait beau ou non ?...) mais aussi sur leur comportement d’agrégation (est-ce que les éléphants de mer sont davantage en agrégation lorsqu’ils sont en début, milieu ou fin de mue ? est-ce qu’ils s’agrègent davantage quand il fait beau ou pas beau ?). Toutes ces questions (et leur réponses, après analyse des données récoltées sur le terrain) ont leur importance comme nos hypothèses supposent que les éléphants de mer adaptent leur comportement en fonction de leur condition physiologique et des conditions environnementales pour économiser de l’énergie et, dans ce cas, diminuer leurs pertes thermiques (cf. la rubrique « le programme », billet « que signifie HEnergES ? »). Hors les échanges de chaleur, en gains ou en pertes, entre un organisme et son environnement dépendent notamment de la météo – soleil, vent, température… – et du type de substrat avec lequel il est en contact – air, eau, terre…

                Une autre partie de l’étude est un suivi individuel. Pour cela nous capturons des éléphants de mer lorsqu’ils sont en début de mue. Habituellement, pour capturer un éléphant de mer, il faut être trois : deux personnes tiennent une capuche et viennent la poser sur la tête de l’éléphant de mer pour lui cacher la vue (certains animaux sont plus calmes lorsqu’ils sont plongés dans le noir) et diminuer le risque de morsure. Puis ils vont venir se coucher sur l’animal, en faisant poids de leur corps sur son dos, pour le maintenir en place et tenter de l’empêcher de bouger. Pendant ce temps, une troisième personne va injecter l’anesthésique, qui va endormir l’éléphant de mer, directement en intraveineux, pour une action quasiment instantanée. Une fois l’éléphant de mer endormi, on peut lui retirer sa capuche et commencer nos mesures. Cette année nous avons néanmoins utilisé une technique différente : l’éléphant de mer recevait une dose d’anesthésique en intramusculaire, à distance, au moyen d’une sarbacane, ce qui lui permettait de s’endormir sans qu’on n’ait à l’approcher, d’où une diminution du stress de la capture et de la manipulation de l’animal.


Le transport du matériel nécessaire à la capture sur le terrain (Pointe Suzanne, Kerguelen, 2016 ; ©William Paterson, Henerges)

                Une fois endormi, nous pesons l’éléphant de mer en le plaçant dans un filet et en le soulevant à l’aide d’un palan fixé à un trépied et muni d’un peson. Puis nous le mesurons avec des mètres rubans : longueur du bout du nez à la queue, et circonférences au niveau des nageoires, du nombril et du bassin. Ces mesures morphologiques nous permettent d’estimer l’état de corpulence de l’animal, par exemple en calculant son indice de masse corporelle à partir de la masse et de la longueur du corps. Puis nous réalisons de nombreuses autres mesures physiologiques :
-          une prise de sang nous permettra plus tard de doser des hormones plasmatiques qui interviennent dans les mécanismes de la mue et du jeûne (cortisol, hormones thyroïdiennes...) ;
-          une mesure de l’épaisseur du gras sous-cutané à l’aide d’un échographe nous permet d’estimer son état d’engraissement (soit les réserves énergétiques dont l’animal dispose) ;
-          des mesures de flux de chaleur échangés entre l’éléphant de mer et son environnement (au contact de l’air et du sol) pour calculer les pertes thermiques ;
-          des mesures de bio-impédancemétrie (en faisant circuler un courant de haute fréquence, mais de faible intensité, entre deux électrodes placées aux extrémités du corps de l’animal ; pour obtenir la résistance des tissus biologiques) nous permettent de calculer la composition en eau, en graisses et en muscles de l’animal.
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Technique de pesée de l’éléphant de mer adulte femelle (Henerges, Pointe Suzanne ; ©Yann Rantier, Janv 2015)

Mesures morphologiques : ici, les différentes circonférences (Henerges, Pointe Suzanne ; ©Yann Rantier, Janv 2015)

Mesures de l’épaisseur du gras sous-cutané par échographie (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Henerges, 2015)

                Puis nous équipons l’éléphant de mer d’appareils de suivi et de mesure : nous collons sur la peau qui a déjà mué, au moyen d’une colle bi-composante, des émetteurs radio haute fréquence (VHF) qui nous permettent de localiser par la suite l’éléphant de mer sur plusieurs kilomètres de distances ; mais aussi des enregistreurs de température, de luminosité, de pression et/ou de mouvements. Une bague numérotée fixée à la nageoire caudale nous permet d’identifier les différents éléphants de mer capturés. De plus, lors des campagnes de terrain de 2015 et 2016, pour la première, nous avons implantés des éléphants de mer avec des électrocardiogrammes qui, placés sous la peau, enregistrent les battements cardiaques. Ensuite nous relâchons les éléphants de mer et nous les suivons au quotidien pour observer leur comportement au cours de la mue (à quelle vitesse muent-ils ? Sont-ils en groupe ou isolés ? Sur quel type d’habitat ? etc). Quand ils ont fini de muer (qu’ils ont perdu tous leurs anciens poils et que les nouveaux ont commencé à pousser) nous les recapturons en suivant la même méthode. Nous prenons de nouveau les différentes mesures morphologiques et physiologiques, puis nous récupérons le matériel de suivi et de mesures (qui a sauvegardé toutes les données enregistrées : variations de température, déplacements, fréquence cardiaque etc.) avant de les relâcher pour qu’ils repartent en mer. Ceci nous permet d’obtenir différentes valeurs comme : la perte de masse pendant la mue ou la variation en composition corporelle, qui sont des indices du coût énergétique de la mue ; et de faire des comparaisons entre individus (est-ce que les individus qui se déplacent plus se dépensent plus ? Les individus qui se sont plus souvent mis en agrégation ont-ils mué plus vite ?...). Ces analyses nous permettent de mettre en évidence des stratégies de comportement individuelles et leurs conséquences.

Eléphant de mer adulte femelle en mue équipée d’un émetteur VHF et d’un GPS collés sur la tête (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Henerges)

Recherche quotidienne des éléphants de mer équipés par récepteur VHF (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges 2015)

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