lundi 3 avril 2017

L'aventure en Terres australes : 4ème campagne annuelle de terrain

    Cette année, pendant 4 mois, de début janvier à début mai 2016, 3 membres du programme HEnergES partent dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), à Kerguelen, pour étudier la mue des éléphants de mer.
L’équipe est composée de Lucas Delalande, étudiant en écologie diplômé de l’Université de Montpellier ; William (« Wully ») Paterson, étudiant en 3ème année de doctorat sur la mue du phoque commun (Phoca vitulina), ou « veau de mer », à l’Université de St Andrews, en Écosse, en collaboration avec le Sea Mammals Research Unit (SMRU, St Andrews, Royaume-Unis ; http://biology.st-andrews.ac.uk/contact/staffProfile.aspx?sunid=wdp1) ; et de Laureline Chaise, vétérinaire et étudiante en 2ème année de doctorat sur la mue des éléphants de mer au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (UMR 7179 CNRS/MNHN, Brunoy ; http://mecadev.cnrs.fr/index.php?post/Chaise-Laureline) et rédactrice de ce blog.

     Les Terres Australes et Antarctiques Françaises, ou « TAAF » (http://www.taaf.fr/), est un territoire d’outre-mer (TOM) de la France depuis 1955 ; c’est-à-dire doté de l’autonomie administrative et financière et dont la France assure la présence humaine logistique, scientifique et militaire. Ce territoire est constitué de 5 districts répartis dans l’océan Indien et l’océan Austral et rassemblant :

-          Des îles tropicales : les îles Eparses (l’archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa, Bassas da India et Tromelin) ;
-          Des îles subantarctiques : l’archipel de Crozet, l’archipel des Kerguelen ; et subtropicales : les îles Saint-Paul et Amsterdam ;
-          Et des terres antarctiques : la terre Adélie.



Les districts des Terres Australes et Antarctiques Françaises (source: taaf.fr)

source: taaf.fr

Drapeau (2007) et armoiries (1958) des Terres Australes et Antarctiques Françaises : le chou (Pringlea antiscorbutica) représente le district de Kerguelen, la langouste le district de Saint-Paul et Amsterdam, le manchot royal (Aptenodytes patagonicus) le disctrict de Crozet et l'iceberg représente la terre Adélie en Antarctique, le tout encadré par deux éléphants de mer (Mirounga leonina). Les cinq étoiles sur l'emblème des lettres « TAAF » entrelacées, associé au drapeau français, représentent les cinq districts : Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam, terre Adélie et les îles Éparses. Les îles Éparses, rattachées aux TAAF en 2007, n'apparaissent pas sur les armoiries adoptées en 1958 (source : taaf.fr).


Le siège des TAAF est installé à la Réunion (Saint-Pierre) depuis 2000, où se situe le bureau et le cabinet du préfet, mais aussi le secrétariat général et différents services dont la direction de la conservation du patrimoine naturel et la direction de la Réserve naturelle nationale des terres australes françaises, pour une équipe de 50 personnes. Une antenne des TAAF située à Paris accueille le service médical, le service de la poste (et de la philatélie), ainsi que le patrimoine.



source : taaf.fr

Au début de leur découverte, ces îles subantarctiques ont fait l’objet de nombreuses et diverses tentatives de mise en valeur, généralement d’ordre économique (élevages, usines…), mais qui échouèrent toutes, et parfois de façon humainement tragique. Aujourd’hui elles accueillent une population, toujours non permanente, allant d'une cinquantaine à une centaine de personnes en fonction de la taille des bases, regroupant scientifiques et techniciens pour des contrats ou missions de quelques mois à un an

      L'archipel des Kerguelen (latitude : entre 48°35’ et 49°54’ Sud / longitude : entre 68°43’ et 70°35’ Est), appelé aussi les « îles de la Désolation », est la plus vaste et la plus âgée des îles subantarctiques des TAAF. D'une superficie de plus de 7 000 km² (soit environ 80 % de l'étendue de la Corse), elle est située à 3 400 km de la Réunion, 2 000 km de l'Antarctique et 4 800 km de l'Australie. L'archipel est la partie émergée depuis 40 millions d'années d'un plateau volcanique sous-marin, principalement basaltique, de 2 millions de km² (soit 4 fois la superficie de la France métropolitaine). Il est constitué d'une île principale, la Grande Terre, représentant plus de 90 % de sa superficie totale, qui s'étend de 150 km sur 120 km, et entourée de plus de 300 îles et îlots satellites. Son point culminant est le Mont Ross, haut de 1 850 m et elle est recouverte en son centre, à l'Ouest, par une calotte glaciaire, nommée d'après l'explorateur Cook, qui s'étend sur 400 km² et culmine à 1 050 m d'altitude.

Carte IGN des Kerguelen (source : ign.fr)

Le climat des îles Kerguelen est de type océanique froid mais non glacial et extrêmement venteux. La température moyenne annuelle de l'air est d'environ 5°C, pouvant atteindre des extrêmes de -10°C pendant l'hiver austral (en août), à +20°C pendant l'été austral (de janvier à mars). Des précipitations, sous forme de pluie, de grêle ou de neige, ainsi que des vents moyens de 30 nœuds (environ 55 km/h) sont courants tout au long de l'année. L'archipel se situe à une latitude entre le 40ème et le 50ème parallèle, appelés les « Quarantièmes rugissants » (et proche des « Cinquantièmes hurlants », entre le 50ème et le 60ème parallèle), où une houle de plus de 10 m est fréquente.
            L'archipel fut découvert en 1772 par le navigateur français Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec, puis en 1776 par l'explorateur James Cook. Ses rivages, baies et terres sont explorées, étudiées et nommées lors de nombreuses campagnes au cours de la première moitié du XXème siècle, notamment par Raymond Rallier du Baty.
            En 1950 est créée la station permanente de Port-aux-français qui sert de base logistique, technique et scientifique et accueille annuellement une cinquantaine à une centaine de personne depuis maintenant 66 ans. Une des activités principales de la base est la recherche scientifique, dans divers domaines d'étude : géologie, sismologie, géomagnétisme, météorologie, océanographie, biologie, zoologie, botanique, écologie, ictyologie etc.
            Les îles Kerguelen sont situées dans des eaux riches en ressources alimentaires (telle la légine, un gros poisson carnassier dont la chair est appréciée) où convergent les eaux froides de l'Antarctique et les eaux plus chaudes de l'océan Indien, et constituent l'un des rares abris terrestres pour de nombreuses espèces marines. Elles hébergent ainsi d'impressionnantes colonies de reproduction de mammifères et oiseaux marins tels les éléphants de mer austraux (Mirounga leonina), les otaries à fourrure antarctiques (ou otaries de Kerguelen, Arctocephalus gazella), des manchots (le manchot royal, Aptenodytes patagonicus ; des gorfous, Eudyptes sp.), des albatros (famille des Diomédéidés : l'albatros hurleur ou grand albatros, l'albatros fuligineux, l’albatros à sourcils noirs...) et des pétrels (famille des Procellariidés : pétrel géant, pétrel plongeur, pétrel bleu...). Son écosystème originel a été modifié par l'exploitation de certaines de ces ressources (ex. la chasse phoquière et baleinière au XIXème siècle, la pêche industrielle au XXème siècle) ainsi que par l'introduction volontaire ou non d'espèces à la fois animales et végétales telles le chat, la souris, le lapin, le renne ou encore la truite et le pissenlit. La végétation terrestre reste néanmoins assez maigre et caractérisée par une espèce en particulier, le chou de Kerguelen (Pringlea antiscorbutica).

            L'ensemble des terres de Kerguelen, ainsi qu'une partie des eaux environnantes, sont actuellement classées entant que réserve naturelle et protégées, ce qui en fait la plus grande réserve naturelle de France.


source : taaf.fr

Grand Albatros, appelé aussi Albatros hurleur (Diomedea exulans), en parade nuptiale (©Laureline Chaise, MNHN, Henerges).

Otarie à fourrure antarctique, ou Otarie de Kerguelen (Arctocephalus gazella). (©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

Au premier plan : choux de Kerguelen (Pringlea antiscorbutica) ; en second plan : colonie de Cormorans de Kerguelen (Leucocarbo verrucosus). (©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

mercredi 16 décembre 2015

Présentation du programme : qu’est-ce que signifie « HEnergES » ?



Présentation du programme : qu’est-ce que signifie « HEnergES » ? 


Le programme n°1037 Henerges (pour « Huddling Energetics of moulting Elephant Seals » : thermal ecology of moulting elephant seals / « Energétique du comportement d’agrégation chez l’éléphant de mer en mue » : écologie thermique des éléphants de mer en mue) est un programme scientifique de recherche en Sciences du vivant dirigé par Caroline Gilbert (ENVA, UMR 7179 CNRS/MNHN), en collaboration avec André Ancel (DEPE IPHC UMR 7178 CNRS/UdS), Dominic McCafferty (Glasgow University, UK) Susan Gallon et le programme IPEV n°109 (Christophe Guiné, CEBC CNRS Chizé), et soutenu par l’institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV). Le site d’étude de ce programme est situé à Kerguelen (49°26’S; 70°23’E), un archipel des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), et plus particulièrement à la colonie d’éléphants de mer de Pointe Suzanne. 

Carte de Kerguelen © TAFF


Pour quelle raison et dans quel but s’intéresse-t-on aux éléphants de mer ?

Comme beaucoup d’autres oiseaux ou mammifères marins, les éléphants de mer austraux (Mirounga leonina) sont confrontés à des périodes contrastées en terme de balance énergétique. Ils alternent en effet des périodes de recherche alimentaire en mer, pendant lesquelles ils restaurent leurs réserves énergétiques, avec des périodes de jeûne à terre, sur la colonie où ils viennent se reproduire ou muer. Lors de la mue, une phase coûteuse en énergie, les éléphants de mer sont observés en groupes, les individus étant plus ou moins agrégés densément selon les conditions climatiques locales. Le comportement de thermorégulation sociale est une stratégie d’économie d’énergie largement utilisée dans le monde animal, par les oiseaux comme les mammifères confrontés à de fortes dépenses énergétiques. Cependant, ce comportement et les bénéfices associés n’ont encore jamais été étudiés chez les éléphants de mer. 

Cycle de vie annuel d’un éléphant de mer austral (Mirounga leonina)
© Henerges



Ce projet repose ainsi sur l’étude du comportement de thermorégulation sociale, stratégie d’économie d’énergie utilisée par les éléphants de mer au cours de leur période de mue sur la colonie. Nous supposons que les adaptations comportementales et physiologiques liées aux agrégations plus ou moins denses des éléphants de mer au cours de leur mue pourraient être influencées par leur condition corporelle ainsi que les contraintes climatiques. Les agrégations pourraient ainsi permettre aux individus de minimiser le temps passé à terre à jeûner, nécessaire au renouvellement de leur peau et fourrure lors de leur mue. Plus précisément, nos principaux objectifs sont de déterminer comment se comportent les éléphants de mer pendant la mue (regroupement, posture, habitat utilisé, déplacements, etc.) et de déterminer comment ils font face à ce stress énergétique (évolution de la composition corporelle, de la température corporelle, des flux de chaleur, mesurés par photos à thermographie infrarouge, etc.) en fonction des conditions climatiques environnementales.


Agrégations d’éléphants de mer sur différents types d’habitat
© Henerges

Nos premiers résultats montrent en effet une utilisation spécifique de l’habitat par les éléphants de mer en fonction du stade de mue (d’où des contraintes énergétiques en termes de pertes thermiques), ainsi qu’une adaptation du comportement d’agrégation en fonction des conditions météorologiques et corporelles. Ils se regroupent plus densément lors de conditions météorologiques défavorables (en fonction de l’habitat), et les individus à plus faible indice de masse corporelle se regroupent plus souvent. De plus, nous avons mis en évidence grâce aux premières données que le comportement d’agrégation permet le maintien d’un gradient de température indépendant de la température ambiante, ainsi qu’une optimisation de la température de mue, ceci pouvant permettre ainsi d’accélérer la mue. Ces premiers résultats semblent ainsi confirmer nos hypothèses.

Photo infra-rouge d’un groupe d’éléphants de mer pendant la mue
© Henerges

Cette étude nous permettra ainsi d’explorer l’écologie thermique d’une espèce soumise à de fortes contraintes énergétiques, afin de mieux comprendre comment les organismes sont capables de s’adapter à leur environnement dans le contexte des changements climatiques actuels.


Un institut français pour la recherche en milieu polaire
L’institut français polaire Paul Emile Victor, ou IPEV (www.institut-polaire.fr), basé à Brest et formé d’une cinquantaine de personnels permanents, n’est pas un organisme de recherche à proprement parler, mais un groupement d’intérêt public français constitué de différents organismes publics (tels le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Ministère des Affaires étrangères, Ifremer, le CEA, le CNES, le CNRS, les TAAF, Météo-France etc.)

Logo de l'IPEV © IPEV.FR


L’IPEV organise et anime en moyenne 80 programmes de recherche scientifique nationale dans les régions polaires de l’Arctique (au Pôle Nord) ou de l’Antarctique (au Pôle Sud), jouant le rôle d’agence de services (développant les moyens humains, logistiques, techniques, financiers et le cadre juridique nécessaire) en offrant son soutien aux laboratoires de recherche publique français souhaitant mener des études en milieu polaire des deux hémisphères. Ceci tout en favorisant la concertation scientifique et logistique internationale, encourageant le développement des connaissances et des technologies et suscitant l’intérêt du public pour les milieux polaires.


Carte globe des îles subantarctiques desservies © TAFF

L’institut assure ainsi la gestion de six bases (réparties sur l’île du Spitzberg en Arctique, les îles subantarctiques de Kerguelen, de Crozet et d’Amsterdam au Sud de l’Océan Indien, et en Terre Adélie et sur le plateau Antarctique), de deux navires océanographique et polaire (respectivement, le Marion Dufresne 2 dans l’Océan Indien, et l’Astrolabe en Antarctique) et recrute chaque année plusieurs dizaines de techniciens et volontaires au service civique (http://vsc.ipev.fr) pour des missions de durées variables sur les bases, en lien avec les programmes scientifiques des laboratoires commanditaires.