Le programme

Présentation du programme : qu’est-ce que signifie « HEnergES » ?


Le programme n°1037 Henerges (pour « Huddling Energetics of moulting Elephant Seals » : thermal ecology of moulting elephant seals / « Energétique du comportement d’agrégation chez l’éléphant de mer en mue » : écologie thermique des éléphants de mer en mue) est un programme scientifique de recherche en Sciences du vivant dirigé par Caroline Gilbert (ENVA, UMR 7179 CNRS/MNHN), en collaboration avec André Ancel (DEPE IPHC UMR 7178 CNRS/UdS), Dominic McCafferty (Glasgow University, UK) Susan Gallon et le programme IPEV n°109 (Christophe Guiné, CEBC CNRS Chizé), et soutenu par l’institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV). Le site d’étude de ce programme est situé à Kerguelen (49°26’S; 70°23’E), un archipel des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), et plus particulièrement à la colonie d’éléphants de mer de Pointe Suzanne. 


Carte de Kerguelen © TAFF

 

Pour quelle raison et dans quel but s’intéresse-t-on aux éléphants de mer ?

 
Comme beaucoup d’autres oiseaux ou mammifères marins, les éléphants de mer austraux (Mirounga leonina) sont confrontés à des périodes contrastées en terme de balance énergétique. Ils alternent en effet des périodes de recherche alimentaire en mer, pendant lesquelles ils restaurent leurs réserves énergétiques, avec des périodes de jeûne à terre, sur la colonie où ils viennent se reproduire ou muer. Lors de la mue, une phase coûteuse en énergie, les éléphants de mer sont observés en groupes, les individus étant plus ou moins agrégés densément selon les conditions climatiques locales. Le comportement de thermorégulation sociale est une stratégie d’économie d’énergie largement utilisée dans le monde animal, par les oiseaux comme les mammifères confrontés à de fortes dépenses énergétiques. Cependant, ce comportement et les bénéfices associés n’ont encore jamais été étudiés chez les éléphants de mer. 

 



Cycle de vie annuel d’un éléphant de mer austral (Mirounga leonina)
©Henerges

 
Ce projet repose ainsi sur l’étude du comportement de thermorégulation sociale, stratégie d’économie d’énergie utilisée par les éléphants de mer au cours de leur période de mue sur la colonie. Nous supposons que les adaptations comportementales et physiologiques liées aux agrégations plus ou moins denses des éléphants de mer au cours de leur mue pourraient être influencées par leur condition corporelle ainsi que les contraintes climatiques. Les agrégations pourraient ainsi permettre aux individus de minimiser le temps passé à terre à jeûner, nécessaire au renouvellement de leur peau et fourrure lors de leur mue. Plus précisément, nos principaux objectifs sont de déterminer comment se comportent les éléphants de mer pendant la mue (regroupement, posture, habitat utilisé, déplacements, etc.) et de déterminer comment ils font face à ce stress énergétique (évolution de la composition corporelle, de la température corporelle, des flux de chaleur, mesurés par photos à thermographie infrarouge, etc.) en fonction des conditions climatiques environnementales.

Agrégations d’éléphants de mer sur différents types d’habitat   © Henerges


Nos premiers résultats montrent en effet une utilisation spécifique de l’habitat par les éléphants de mer en fonction du stade de mue (d’où des contraintes énergétiques en termes de pertes thermiques), ainsi qu’une adaptation du comportement d’agrégation en fonction des conditions météorologiques et corporelles. Ils se regroupent plus densément lors de conditions météorologiques défavorables (en fonction de l’habitat), et les individus à plus faible indice de masse corporelle se regroupent plus souvent. De plus, nous avons mis en évidence grâce aux premières données que le comportement d’agrégation permet le maintien d’un gradient de température indépendant de la température ambiante, ainsi qu’une optimisation de la température de mue, ceci pouvant permettre ainsi d’accélérer la mue. Ces premiers résultats semblent ainsi confirmer nos hypothèses.

 

Photo infra-rouge d’un groupe d’éléphants de mer pendant la mue  © Henerges

Cette étude nous permettra ainsi d’explorer l’écologie thermique d’une espèce soumise à de fortes contraintes énergétiques, afin de mieux comprendre comment les organismes sont capables de s’adapter à leur environnement dans le contexte des changements climatiques actuels.

 

Un institut français pour la recherche en milieu polaire

 
L’institut français polaire Paul Emile Victor, ou IPEV (www.institut-polaire.fr), basé à Brest et formé d’une cinquantaine de personnels permanents, n’est pas un organisme de recherche à proprement parler, mais un groupement d’intérêt public français constitué de différents organismes publics (tels le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Ministère des Affaires étrangères, Ifremer, le CEA, le CNES, le CNRS, les TAAF, Météo-France etc.)

Logo de l'IPEV © IPEV

L’IPEV organise et anime en moyenne 80 programmes de recherche scientifique nationale dans les régions polaires de l’Arctique (au Pôle Nord) ou de l’Antarctique (au Pôle Sud), jouant le rôle d’agence de services (développant les moyens humains, logistiques, techniques, financiers et le cadre juridique nécessaire) en offrant son soutien aux laboratoires de recherche publique français souhaitant mener des études en milieu polaire des deux hémisphères. Ceci tout en favorisant la concertation scientifique et logistique internationale, encourageant le développement des connaissances et des technologies et suscitant l’intérêt du public pour les milieux polaires.


 
Carte globe des îles subantarctiques desservies © TAFF

L’institut assure ainsi la gestion de six bases (réparties sur l’île du Spitzberg en Arctique, les îles subantarctiques de Kerguelen, de Crozet et d’Amsterdam au Sud de l’Océan Indien, et en Terre Adélie et sur le plateau Antarctique), de deux navires océanographique et polaire (respectivement, le Marion Dufresne 2 dans l’Océan Indien, et l’Astrolabe en Antarctique) et recrute chaque année plusieurs dizaines de techniciens et volontaires au service civique (http://vsc.ipev.fr) pour des missions de durées variables sur les bases, en lien avec les programmes scientifiques des laboratoires commanditaires. 
 


Un sujet d'étude de taille : un éléphant de mer, ça mue énormément! 


L’éléphant de mer austral (Mirounga leonina), qui fait partie de la famille des Phocidés (Phocidae), est le plus grand des phoques et peut vivre jusqu’à plus de 20 ans. Les mâles peuvent peser près de 3 tonnes pour 6 mètres de long, tandis que les femelles peuvent atteindre les 600 kg pour 3 mètres de long : on parle de « dimorphisme sexuel » pour caractériser cette importante différence de taille et de masse entre les deux sexes. Les mâles adultes possèdent de plus une protubérance nasale très développée, appelée « proboscis », qui leur sert de caisse de résonance lorsqu’ils rugissent ou éructent pour impressionner leurs congénères, et peut faire penser à une sorte de trompe, d’où leur nom « d’éléphants » de mer. 

 Dimorphisme sexuel entre un mâle (à droite) et une femelle (à gauche) éléphants de mer adultes 
© Susan Gallon, Géorgie du Sud, Oct. 2008

                La population totale actuelle est estimée à près de 750 000 individus répartis dans les mers australes suivant une distribution circumpolaire en quatre populations génétiquement distinctes dont les colonies sont situées : à la péninsule Valdès, en Géorgie du Sud, aux îles Macquaries et aux îles Kerguelen. La population d’éléphants de mer a connu une chute démographique proche de l’extinction au XIXème siècle, en grande partie due à la chasse phoquière (pour leur graisse qui servait à alimenter les lampes à huile), avant de devenir une espèce protégée (Annexe II de la CITES depuis 1975 ; Arrêté interministériel du 27 juillet 1995 sur la protection des mammifères marins en France ; Liste rouge de l’UICN, catégorie de préoccupation mineure, depuis 1996), puis aux changements climatiques globaux influant sur leur environnement.

Distribution circumpolaire des quatre principales populations d’éléphants de mer austraux autour de l’océan Austral  © Durham University

                Un adulte passe 80 à 90 % de sa vie en mer où il se nourrit pour stocker de l’énergie, principalement sous forme de graisse sous-cutanée. Les éléphants de mer parcourent plusieurs centaines de kilomètres par an, plongeant en moyenne 60 à 80 fois par jour et remontant à la surface seulement 2 à 3 minutes entre chaque plongeon. Ils plongent en moyenne jusqu’à 400 à 800 mètres de profondeur pendant 20 à 30 minutes mais peuvent atteindre des profondeurs jusqu’à 1 500 mètres et rester submergés pendant 77 à 120 minutes. Ces plongeons leur servent à chasser leurs proies : principalement des céphalopodes et des mictophidés (des poissons vivant en profondeur et appelés « poissons-lanternes »), et à rester hors de portée de leurs prédateurs (peu nombreux parmi les orques, les léopards de mer et les grands requins).

                Les éléphants de mer atteignent la maturité sexuelle à 5-6 ans pour les mâles et à 3 ans pour les femelles. Néanmoins, la majorité des femelles ne mettent bas qu’à partir de 4-5 ans et les mâles reproducteurs, appelés « pachas », sont âgés en moyenne de 9 à 12 ans. A l’instar des autres espèces de Phocidés, les femelles éléphants de mer mettent bas à terre en rejoignant généralement la colonie où elles sont nées (on parle de fidélité de site) pendant l’automne austral. Une semaine après avoir rejoint la colonie, les femelles mettent bas, généralement d’un seul petit pesant en moyenne à la naissance 40 kg. Les soins parentaux sont prodigués au jeune uniquement par la mère qui l’allaite, à jeun et au sein du harem, quotidiennement pendant 3 semaines. Au cours des derniers jours de la lactation, les femelles s’accouplent, puis le sevrage a lieu quatre semaines après la mise bas lorsqu’elles retournent en mer. En parallèle, les mâles jeûnent pendant 100 jours au cours desquels ils se battent pour déterminer le rang social et obtenir le droit de s’accoupler avec les femelles. Pendant la phase de reproduction, les éléphants de mer adultes brûlent leur graisse pour obtenir de l’énergie au cours de leur jeûne. La perte de masse corporelle qui en résulte est de 12 à 15 kg par jour pour un mâle et de 8 à 10 kg par jour pour une femelle, ce qui correspond au final à près de la moitié de leur masse à leur arrivée à terre. A son sevrage, le jeune pèse en moyenne 120 kg et apprend seul rapidement à nager et à plonger avant de partir à son tour en mer. Pendant leur première année en mer, environ 50 % des jeunes succomberont à la prédation.

               De même, chaque année, les éléphants de mer retournent à terre sur la colonie pour muer. C’est à cette période de leur cycle de vie, pendant l’été austral, que l’on s’intéresse à eux au sein de ce programme. La phase de recherche alimentaire en mer entre la période de reproduction et la mue, de courte durée (environ 2 mois), est concomitante d’une période d’abondance en proies qui permet aux éléphants de mer de rapidement reformer leurs réserves énergétiques sous forme de graisse sous-cutanée pour faire face à ce nouveau jeûne. Bien que la mue représente une phase coûteuse en énergie, elle reste essentielle pour le maintien d’un tégument sain et de l’isolation en milieu marin. A l’inverse de la plupart des Phocidés, l’éléphant de mer austral renouvelle non seulement l’entièreté de son pelage mais aussi la première couche de son épiderme cutané (la couche cornée) et ceci en seulement un mois. Seules 3 autres espèces de Phocidés suivent une mue similaire : l’éléphant de mer du nord, le phoque moine hawaïen et le phoque moine méditerranéen ; mais l’éléphant de mer austral est le seul à muer dans un milieu subantarctique, froid, venteux et humide. La perte de masse corporelle pendant cette mue drastique représente la moitié du coût énergétique de la reproduction. Après la mue, les éléphants de mer reprennent leur vie pélagique pendant environ 8 mois, au cours de l’hiver austral, période pendant laquelle les femelles sont en gestation.


 
 Éléphants de mer entrain de muer  


Communication des résultats du programme HEnergES


 


Eléphant de mer austral, Mirounga leonina, femelle adulte (©Henerges, 2012)

 

Articles publiés (et d’autres à venir ! suivez-nous)

Chaise, L.L., Paterson, W., Laske, T.G., Gallon, S.L., McCafferty, D.J., Théry, M., Ancel, A., & Gilbert, C. (2017) Implantation of subcutaneous heart rate data loggers in southern elephant seals (Mirounga leonina). Polar Biology. doi: 10.1007/s00300-017-2144-x


Présentations (congrès scientifiques)

Toscani C., Chaise L., Bonnet B., Krellenstein A., Paterson W., Delalande L., Ancel A. & Gilbert C. (2017). Utilisation de l’habitat et déplacements à terre chez l’éléphant de mer austral (Mirounga leonina) au cours de la mue. 13èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Bonnet B., Chaise L., Toscani C., Krellenstein A., Paterson W., Delalande L., Ancel A. & Gilbert C. (2017). Implantation sous-cutanée d'enregistreurs de fréquence cardiaque chez l'éléphant de mer austral (Mirounga leonina) lors de la mue : aspects méthodologiques. 13èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Chaise L., Paterson W., Delalande L., Gallon S., Laske T., McCafferty D., Ancel A.& Gilbert C. (2016). Combination of heart rate, body temperature and accelerometry for behavioural study of Southern elephant seals during the moult. 12th Meeting - Ecology and Behaviour (Lyon, France)

Chaise L., Prinet I., McCafferty D., Toscani C., Gallon S., Vuarin P., Ancel A. & Gilbert C. (2015). Huddling of Southern elephant seals during their moult. 11èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Chaise L., Prinet I., Toscani C., Gallon S., McCafferty D., Vuarin P., O’Toole M., Ancel A. & Gilbert C. (2015). Movement patterns and habitat selection of Southern elephant seals during their moult. 11th Meeting - Ecology and Behaviour (Toulouse, France)

Chaise L., Toscani C., Gallon S., McCafferty D., Ancel A. & Gilbert C. (2014). Habitat use and movement patterns of Southern elephant seals during their moult. 5th Bio-logging Science Symposium (Strasbourg, France)

Gallon S., Chaise L., McCafferty D., Toscani C., Ancel A. & Gilbert C. (2014). The moult in southern elephant seals: the cost of losing it all. 5th Bio-logging Science Symposium (Strasbourg, France)

Toscani C., Vuarin P., Chaise L., Gallon S., McCafferty D., Ancel A. & Gilbert C. (2014). Energetics of moult and huddling in Southern elephant seals. 10èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Thèses vétérinaires soutenues

KRELLENSTEIN A (2016). Mue et thermorégulation chez les éléphants de mer austraux (Mirounga leonina). Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, France.

CHAISE L (2014). La thermorégulation sociale des éléphants de mer austraux (Mirounga leonina) en phase de mue: aspects comportementaux et physiologiques. VetAgro Sup, France.


Tampon (logo) officiel du programme IPEV 1037 HEnergES (©Henerges, 2016)



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